Par Vincent Carter

Ce jeudi, une foule impressionnante a envahi les rues de Goma à l’occasion du premier “meeting populaire” organisé par l’Alliance des Forces pour le Changement (AFC) et le M23, une semaine après la prise de la ville par ces groupes armés. Le Stade de l’Unité, trop exigu pour contenir la masse humaine venue assister à l’événement, a vu ses abords envahis par des milliers de Gomatraciens, dans une mobilisation qui interroge autant qu’elle inquiète.

Une mobilisation sans précédent

L’ampleur de ce rassemblement contraste fortement avec les chiffres officiels de l’élection présidentielle de décembre 2023, qui avaient donné plus de 80 % des voix à Félix Tshisekedi à Goma. Si l’on se fie à cette participation massive, il est légitime de se poser des questions sur l’authenticité des résultats de ce scrutin dans cette région à légétimité électorale contestée.

La réalité semble être toute autre : la mobilisation à Goma n’est pas tant une manifestation de soutien au M23 et à l’AFC qu’une expression de rejet du gouvernement en place. En effet, la région du Nord-Kivu est marquée par des décennies d’insécurité et de désillusion face aux promesses non tenues de Kinshasa. L’incapacité des autorités à restaurer une paix durable et à protéger les populations des violences récurrentes a contribué à un profond ressentiment à l’égard du pouvoir central.

Un rejet du pouvoir plus qu’une adhésion aux rebelles ?

Si le M23 et l’AFC parviennent aujourd’hui à rassembler autant de monde, ce n’est pas tant en raison de leur popularité que du vide politique laissé par le gouvernement congolais dans l’Est du pays. La population de Goma, désabusée, exprime ainsi son exaspération face à un régime perçu comme inefficace et déconnecté des réalités locales.

L’incapacité des FARDC à préserver la sécurité, la corruption érigée en système et les multiples promesses non tenues de Tshisekedi sur la pacification de l’Est ont fini par créer un climat de défiance généralisée. De nombreux habitants de Goma voient dans le M23 un acteur qui, bien que controversé, incarne une alternative à l’inertie du pouvoir central. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant une adhésion massive à la cause rebelle, mais plutôt une forme de révolte silencieuse contre Kinshasa.

Une situation politique hautement inflammable

La scène politique congolaise se trouve à un tournant critique. Le meeting de Goma et la ferveur populaire qu’il a suscité mettent en lumière l’extrême fragilité de la présidence Tshisekedi. Ce dernier, réélu dans des conditions contestées, fait face à une crise de légitimité sans précédent, particulièrement dans l’Est du pays.

Si Kinshasa persiste dans sa stratégie actuelle de déni et d’usage exclusif de la force contre les groupes armés, le risque d’une radicalisation de la population locale grandit. Le défi pour Tshisekedi n’est donc pas seulement militaire, mais avant tout politique : il devra convaincre que son gouvernement est encore en mesure de répondre aux attentes des Congolais de l’Est, sous peine de voir son pouvoir encore plus fragilisé.

En somme, la mobilisation observée à Goma n’est pas seulement un épisode isolé, mais le symptôme d’une frustration plus large qui, si elle n’est pas prise au sérieux, pourrait ébranler encore davantage l’autorité de Kinshasa sur une partie du territoire national.